Osez écrire !

L'écriture, toute écriture, reste une audace et un courage. Et représente un énorme travail.
Michel Mailhot. La vie arrachée.

lundi 19 octobre 2009

Le langage SMS, Internet, et la langue française

C’est un phénomène qui n’a rien de nouveau et pourtant éducateurs, parents et linguistes ne cessent de s’étonner devant le développement de ce qu’on pourrait appeler le nouveau code secret des jeunes. Il s’agit d’un langage spécifique qui leur permet de communiquer d’une manière simple, rapide et efficace sans se soucier des normes. Bien que les adultes s’en servent aussi, les adolescents et les jeunes adultes sont probablement les usagers les plus fidèles et les plus prolifères. Mais en quoi consiste ce langage ?


Avant de l’analyser plus profondément, il convient de définir ce que nous entendons par « langage sms ». Nous estimons qu’il est important de faire un bref rappel de ce que nous appelons un sociolecte et par conséquent déterminer en quoi le langage sms en est un exemple. Enfin, nous dresserons une liste non exhaustive d’abréviations avec leurs « significations » non abrégées, après avoir établi le fonctionnement de la formation des mots « sms ».



Commençons par la définition de langage sms. Avec l’avènement des nouvelles technologies, la messagerie de textes courts fournie par la téléphonie mobile et la messagerie instantanée sur Internet notamment, on favorisé la création d’un langage qui simplifie aussi bien l’orthographe lexicale que l’orthographe grammaticale et la morphosyntaxe afin d’échanger des messages courts dont le contenu sera facile à décoder par le destinataire. Il est intéressant de souligner que l’apparition de ce langage peut s’expliquer par deux raisons fondamentales :
  • En premier lieu, les logiciels de traitement de texte des téléphones portables imposent une restriction de caractères, ce qui contraint leurs utilisateurs à réduire la longueur de leurs messages. Il faut ajouter qu’en général les usagers évitent de multiplier les messages (ou textos, dans le jargon des jeunes) et ils préfèrent d’en envoyer un qui soit court mais efficace. Ce facteur est d’autant plus significatif si l’on prend en considération l’immédiateté des échanges dans le contexte globalisé où les communications deviennent de plus en plus rapides et où l’efficacité est la logique dominante. Il faut communiquer maintenant. C’est ce que nous appelons l’économie du langage.
  • En deuxième lieu, il existe un fond de « secret », voire d’initiation, derrière l’utilisation du langage sms. En effet, les adolescents revendiquent leur vie privée et le langage sms leur permet d’établir une limite entre ce que leurs parents peuvent savoir et ce qu’ils souhaitent qu’ils sachent. Si en plus de garder leur jardin secret ils peuvent enfreindre les « lois » de la morphosyntaxe, un véritable gêne pour nombre de jeunes et adultes, le langage sms ne saurait être moins qu’attirant. C’est ce que nous appelons la connivence.
Considérons à présent le langage raccourci du point de vue de la linguistique. Selon les spécialistes, le langage sms est à classer parmi les sociolectes. Mais qu’est-ce qu’un sociolecte ? Un parler sociolectal est un parler spécifique à un groupe social qui permet à ses utilisateurs (locuteurs ou scripteurs) de se différencier des autres par le moyen d’un jargon afin d’établir un langage commun, identitaire. Un sociolecte resserre le groupe en introduisant une complicité due au langage. Les locuteurs étant les seuls détenteurs de ce langage, celui-ci favorise leur cohésion et leur distinction. Le jargon ainsi créé peut également revêtir une fonction ludique.

Se pose maintenant la question de classer le langage sms parmi les parlers sociolectaux. En fait, cette catégorisation est aisée, quoiqu'on ait du mal à le nommer "parler" dans le sens strict du terme : emploi restreint du système par des utilisateurs « initiés », avec la création d’un langage qui « exclut » les non-initiés pour corollaire ; l’apparition d’un groupe sociolectal uni par une même langue qui le distingue des autres. Ce langage traverse la jeunesse et se heurte au poids de la tradition, malgré sa portée et sa validité dans les cercles sociaux des jeunes : blogs, chats, forums, messagerie instantanée…

Lingua non grata
A ce stade de notre analyse, nous souhaitons rapporter les propos d’une spécialiste au sujet de ce langage :

C’est ce que déplore Alain Bentolila, professeur de linguistique à l’université de Paris V et spécialiste de l’illettrisme. « L’écrit que pratiquent ces jeunes aujourd’hui a changé de perspective et de nature, dit-il. C’est un écrit de l’immédiateté, de la rapidité et de la connivence : réduit au minimum, il n’est destiné à être compris que par celui à qui on s’adresse. Or, la spécificité de l’écrit par rapport à l’oral est qu’il permet de communiquer en différé et sur la durée : il est arrivé dans la civilisation pour laisser des traces. »
Ce principe de « connivence » et d’« économie linguistique » qui touchait jusque-là les « ghettos » des cités » (« où on est condamné, dit-il, à ne s’adresser qu’à ceux qui nous ressemblent ») traverse désormais la jeunesse tout entière. Les jeunes bousculent la langue française. Christine LEGRAND : La Croix, 16/11/2005..

En effet, de nombreux linguistes et éducateurs ont exprimé leur indignation et leur préoccupation vis-à-vis du langage de la jeunesse. Les détracteurs du langage sms avancent, entre autres critiques, que l’utilisation d’une telle langue porte préjudice à la langue française, qu’elle menace son avenir et son prestige, et qu’elle favorise le développement d’une culture de l’oral au détriment de la culture de l’écrit, et plus particulièrement la culture littéraire.

Or il convient de remettre en cause cette perspective traditionnelle car s’il est vrai que l’une des caractéristiques principales du langage sms est celle de la transposition de l’oral sur l’écrit, c’est-à-dire, de privilégier les formes qui rapprochent de la langue orale tout en négligeant les conventions typographiques et orthographiques, il faut avouer que du point de vue de la communication la menace n’est pas aussi grave qu’on ne le pense. En effet, l’essentiel étant de faire passer un message, dès que celui-ci est facile à décoder par le destinataire il n’y a pas vraiment d’argument à opposer.

D'ailleurs, le décryptage du langage sms fait appel à la compétence métalinguistique, qui implique en même temps la mise en place de la composante phonographématique de la langue. Seul un individu qui possède une parfaite maîtrise de sa langue peut décrypter le message, car il doit être capable d'anticiper le sens des signes et de l'interpréter correctement afin de saisir le message.

Mais les critiques peuvent véhiculer un souci légitime en ceci que la simplification de la langue peut devenir un véritable problème dans le milieu scolaire. La publication de livres entièrement rédigés en langage sms semble traduire cependant une réaction favorable à cette manière de transmettre ses idées du côté de certains lettrés.

Le langage sms pourrait même encourager à écrire, si l’on concède l’apparition d’une écriture qui répond au besoin fondamental de la communication, c’est-à-dire, de transmettre un message, et de laisser une trace de son existence en passant. A ce sujet, nous estimons que la remarque suivante est très sensée :

Ces nouveaux modes d’expression constituent-ils une menace pour la langue française ? Les observateurs les plus optimistes pensent que non. Les jeunes culturellement les plus favorisés feraient preuve d’une grande mobilité intellectuelle, jonglant en permanence avec ces outils et passant avec agilité d’un registre de langue à l’autre, en fonction de leur interlocuteur. Tandis qu’à l’autre bout de l’échelle sociale, l’écriture phonétique, libérée des carcans de l’orthographe, réconcilie avec l’écrit les jeunes les plus réfractaires, en les décomplexant. « Les garçons notamment se sont mis à l’écriture plus intime via l’ordinateur, remarque ainsi la sociologue Dominique Pasquier, auteur d’une enquête sur les pratiques culturelles des lycéens (1). Et ceux qui sont cancres à l’école peuvent devenir leaders sur les “chats” (NDLR : forums de discussion pratiqués sur Internet), notamment dans les milieux populaires. » Les jeunes bousculent la langue française. Christine LEGRAND : La Croix, 16/11/2005.

Sans doute, dès qu’une évolution d’une telle envergure s’opère, il est facile de se placer du côté conservateur. Mais si cette nouvelle langue permet à ses utilisateurs de s’insérer dans la société et de s’identifier avec leurs groupes de paires, pourquoi s’y opposer avec amertume au lieu d’en étudier les avantages ? Il faut insister sur le fait que l’oralité a précédé l’écriture, et qu’il serait dangereux de confondre écriture et parole, langue et culture. La primauté de la langue sur la culture est indéniable. Ne serait-il pas plus approprié de lutter contre la mauvaise utilisation du langage sms et contre l’appauvrissement du lexique des jeunes gens ?

Structure d’une langue
Du point de vue structural, et si l'on est stricte, le langage sms n’est pas une langue à proprement parler, car pour cela il lui faudrait posséder une grammaire et un lexique spécifiques, en plus d'une structure propre et différente de celle de la langue française, par exemple. En revanche, elle fonctionne sur la base de la langue française, avec une syntaxe simplifiée, elle emprunte parfois des mots à des langues étrangères, et elle intègre argot et « parler jeune », elle rapproche l’écrit de l’oral par la phonétisation des monèmes. Tout cela lui confère sa spécificité par rapport aux autres sociolectes.

Pour d’aucuns, on assisterait même à une réforme qui aurait dû avoir lieu depuis belle lurette, en dépit du courant conservateur. D'autres parlent de "déviation" par rapport à la norme. D'autres encore parlent de "variante" orthographique.

Petit lexique
Étant donné que nous n'avons pas suffisamment d'espace pour dresser une liste exhaustive de mots "sms", nous vous proposons de suivre ce lien qui vous redirigera vers une page où vous pourrez prendre connaissance du lexique, des expressions et des conjugaisons du langage sms.

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je découvre votre article sur le langage SMS, puisque vous avez fait un lien vers l'un de mes sites.

    Votre article est intéressant... mais vous êtes passé à côté d'une alternative au SMS abrégé :

    P.M.S (Phonétique Muse Service)

    Voici deux sites qui expliquent ma démarche :

    http://www.profsms.fr

    http://www.traductionsms.com

    Pour me situer : En 2004, j'ai publié le premier livre au monde en langage SMS (pa sage a taba vo SMS). J'ai publié ensuite la font'N j'M ! (Les fables de la fontaine en SMS / PMS)L

    Phil Marso
    (Écrivain indépendant)

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  2. C'est avec plaisir que nous publions votre commentaire. En effet, nous n'avons pas abordé tous les aspects de cette nouvelle écriture qu'est le langage sms. Merci de nous faire découvrir ces sites qui sont pour le moins intéressants... et de partager vos impressions sur notre article.

    Surtout, n'hésitez pas à nous faire découvrir les nouveautés de votre site et restons en contact pour de nouveaux articles sur notre blog.

    Cordialement,


    J.-L. Sánchez
    Administrateur du blog

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